• Avant-hier, j'ai pu enfin voir un concert du chanteur ivoirien Tiken Jah Fakoly au Bataclan, après l'avoir manqué plusieurs fois. Plutôt amateur de musiques instrumentales, en particulier de jazz fusion et de musique indienne, j'apprécie moins les chansons, trouvant le plus souvent moins de force à des paroles qu'à des expressions par le biais d'un instrument ou d'un dialogue entre instruments (la voix étant également un instrument, mais je la préfère sous forme de notes que de paroles). Néanmoins le reggae, après plusieurs années de résistance de ma part, m'a touché un beau soir d'hiver dans un coffee shop jamaïcain à Amsterdam il y a une dizaine d'années, allez savoir pourquoi.. ;-)

     
    Depuis je n'ai pas vraiment exploré en profondeur cette musique, mais j'écoute régulièrement Bob Marley, Burning Spear, LKJ, Pablo Moses et autres Peter Tosh, figures de proue d'un rythme et d'une histoire nés sur une petite île dans les années 60 et qui a fait depuis le tour du monde. Le concert de Tiken Jah m'ayant donné envie d'en savoir plus sur le mouvement rasta, j'ai un peu surfé pour essayer de résumer (sans recul malheureusement) l'histoire du rastafarisme, avant de revenir sur le concert lui-même.
    "Pave the way", Pablo Moses

     

     Le rastafarisme

    Le rastafarisme, du nom complet de l'ancien empereur d'Ethiopie Hailé Selassié (Ras Tafarí Makonnen), est né dans les années 30 en Jamaïque, ancienne colonie de l'Espagne puis de l'Angleterre et ancien « paradis » des marchands d'esclaves africains. Les jamaïcains subirent ensuite, après l'abolition de l'esclavage en 1834, l'influence des Etats-Unis et de sa culture judéo-chrétienne. Cependant la lecture de la Bible des jamaïcains s'est particulièrement focalisée sur les passages citant l'Afrique, et en particulier l'Ethiopie, notamment par l'intermédiaire de Marcus Garvey, longuement évoqué sur plusieurs albums de reggae, dont l'excellent double album portant son nom de Burning Spears :

     

     

     Marcus Garvey, homme politique jamaïcain respecté pour son action en faveur de l'émancipation des noirs aux USA au début du siècle, fut donc le principal artisan du développement du rastafarisme en « prophétisant » l'accession au pouvoir du Négus Hailé Selassié dès 1916: "Cherchez en Afrique le couronnement d'un roi noir, il pourrait être le Rédempteur." Hailé Selassié fut couronné en Ethiopie en 1928 et les rastas y virent la réalisation de la prophétie de Mosiah (le premier prénom de Marcus Garvey, signifiant « Moïse », le prophète libérateur des Hébreux) : le rastafarisme était lancé.


    Depuis, la religion rastafaraï s'est répandue dans le monde (malgré l'aspect dictatorial du règne du Négus), en particulier depuis l'émergence du reggae. Elle repose sur un principe :  Hailé Selassié est la dernière incarnation du Dieu de la Bible sur Terre (un messie en gros), Marcus Garvey est son prophète et l'Ethiopie est la Terre promise, même si les volontés de rapatriement des rastas dans ce pays n'ont guère été suivies d'effets (malgré la visite du Négus en Jamaïque en 1966). Les dreadlocks et la barbe des rastas sont la reproduction d'enseignements également trouvés dans l'Ancien testament (Lévitique, 21:5 :"[...]les prêtres ne doivent pas se faire de tonsure, ni se raser la barbe sur les côtés, ni se faire des entailles sur le corps.").  La ganja (le cannabis, the Holy herb) est un don de Dieu qui guide l'homme dans sa méditation. Elle trouve également une explication plus ou moins fumeuse dans la Bible (Apocalypse, 22:2 : "[...] Ses feuilles [de l'arbre de la vie] servent à la guérison des nations."). En gros, c'est l'équivalent du vin de messe, et d'ailleurs reconnu comme tel il me semble dans certains pays (pas en France bien sûr...). Cependant les rastas n'ont pas de lieu de culte : "L'Eglise d'un rasta, c'est l'homme lui-même" (Bob Marley).


    Ce qui est étonnant, c'est que les rastas considèrent que l'homme est né en Ethiopie... Ils considèrent également que Dieu est noir, ayant créé l'homme à son image (afrocentrisme). Or toutes les études scientifiques, à ce jour, situent également l'origine de l'homme en Ethiopie.... Bref... De nos jours le rastafarisme comporte davantage de sympathisants que de pratiquants, les dreads sont même devenues « à la mode »... Néanmoins le rastafarisme est toujours associé à l'émancipation de l'Afrique, à la Paix et à l'Amour, messages de base de la chrétienté... Bon, ok, aussi à la ganja...Comme dans la vidéo ci-dessous de Peter Tosh - "Legalize it"

     

     

     

    Le reggae

    Le reggae est né du ralentissement de la musique ska jamaïcaine dans les années 60. Cette musique s'inspire du rastafarisme pour les textes, avec au premier plan la libération du peuple noir du joug de Babylone, mais sans agressivité, en paix. Bob Marley a bien sûr joué un rôle majeur dans la propagation de cette musique, d'abord en Angleterre, puis aux Etats-Unis et dans le monde entier. L'album « Survival » avec la chanson « Zimbabwé » de Bob a permis la diffusion massive du reggae en Afrique, en particulier en Côte d'Ivoire, patrie d'Alpha Blondy. Tiken Jah Fakoly, également ivoirien, a depuis repris le flambeau et, grâce à ses chansons très engagées politiquement, se présente comme le porte-parole actuel de la jeunesse africaine qui tente de se dépêtrer des relents du colonialisme et des effets pernicieux actuels de la mondialisation, sorte de Babylone économique sans tête ni foi

     

    Bob Marley "war" (après une intro sur le rastafarisme en anglais)

     

     

    Tiken Jah Fakoly

    J'ai donc découvert cet artiste il y a peu de temps. N'écoutant pas la radio et ne regardant pas les émissions musicales télévisées, j'étais passé à côté de ses albums, bien que « Françafrique » ait été unanimement salué en France. Depuis je me suis rattrapé et j'apprécie désormais énormément ses disques, tant sur le plan musical que textuel. « Françafrique » et « Coup de gueule », les 2 derniers, sont en effet non seulement percutants par leur message de ras-le-bol vis-à-vis de la société actuelle africaine voire française, mais ils sont également musicalement très intéressants, avec une excellente section cuivre, des rythmes variés, une chaleur omniprésente (ils ont été enregistrés en Jamaïque avec Sly & Robbie, mythiques accompagnateurs jamaïcains que j'avais pu écouter auparavant avec Monty Alexander et Ernest Ranglin, deux excellents jazzmen jamaïcains). Il ne me restait donc plus qu'à le découvrir en concert, ce que j'ai pu enfin faire avant-hier.

     

    Quel showman !! Tiken Jah et son groupe (guitare, basse, batterie, clavier, sax, trompette, trombone et 2 choristes) ont déversé une musique incandescente, urgente, le tout devant une salle conquise et enfumée. Quel bonheur, au moment où l'on parle en France de guérilla urbaine, de discriminations quotidiennes, d'intolérances multiples et de provocations stupides, de voir des centaines de personnes de tout âge et toutes couleurs onduler ensemble, reprendre en cœur les chorus, par exemple : « quand nous serons unis, ça va faire mal », ou encore « La France va mal, l'Afrique va mal » sur la chanson « mon pays va mal », « Ils ont partagé le monde sans nous consulter », « on en a marre, l'Afrique en a marre marre marre », etc. Cette communion des musiciens et du public dans le contexte actuel était touchante et entraînante, cela m'a rappelé le concert de Nitin Sawney dont je parle à la fin de cette bafouille.


    Tiken Jah est donc un artiste vivant pleinement sa musique et ses textes, n'hésitant pas à fustiger les dérives actuelles, à commencer par celles subies par son peuple en Côte d'Ivoire (ce qui lui vaut actuellement des menaces l'ayant poussé à s'exiler au Mali). Cet article résume beaucoup mieux que moi le personnage et le contexte : cliquez ici


    "Y'en a marre" (clip)



    "Africa" (concert à Dakar - 2005)



    "Quitte le pouvoir" (concert à Dakar - 2005)



    "Francafrique" (Concert à Dakar - 2005)


    En conclusion

    Je n'ai pas de dreadlocks, je ne suis pas noir à l'extérieur (peut-être à l'intérieur ?), mais le reggae, dont je ne suis qu'un amateur à peine éclairé, me séduit, à la fois par son côté ensoleillé et musical, mais aussi par les valeurs rasta qu'il véhicule, bien incarnées par Tiken Jah : l'humanisme avant tout, que l'on soit religieux ou pas, est la seule porte de sortie pour nous, terriens, qui ne trouvent rien de mieux que de s'entredéchirer alors que nous sommes tous pareils...

     

    Parmi les nombreuses chansons de Tiken Jah, voici les paroles d' « On a tout compris », chantée en rappel avant-hier (source : cliquez ici ; d'autres textes de Tiken jah sont présents sur ce site, ainsi que ceux de nombreux artistes de reggae) :

    On a tout compris
    Allez dire aux hommes politiques
    Qu'ils enlèvent nos noms dans leur business
    On a tout compris
    Allez dire aux hommes politiques
    Qu'ils enlèvent nos noms dans leur business
    On a tout compris
    Ils nous utilisent comme des chameaux
    Dans des conditions qu'on déplore
    Ils nous mènent souvent en bateau
    Vers des destinations qu'on ignore
    Ils allument le feu, ils l'activent
    Et après , ils viennent jouer aux pompiers
    On a tout compris
    Allez dire aux marchands d'illusion
    Que nos consciences ne sont pas à vendre
    On a tout compris
    Ils sont complices de Babylone
    Pour nous arnaquer aie aie aie
    Ils font semblant de nous aider
    A combattre cette injustice
    Ils allument le feu, ils l'activent
    Et après, ils viennent jouer aux pompiers aie aie aie
    On a tout compris
    On a tout compris
    On a tout compris
    On a tout compris
    Ils nous utilisent comme des chameaux
    Dans des conditions qu'on déplore
    Ils nous mènent souvent en bateau
    Vers des destinations qu'on ignore
    Ils allument le feu, ils l'activent
    Et après, ils viennent jouer aux pompiers aie aie aie
    On a tout compris
    On a tout compris
    C'est toujours le même scénario
    On a tout compris
    Les marchands d'illusion sont là
    On a tout compris
    A partir de maintenant
    On a tout compris
    A partir d'aujourd'hui là
    On a tout compris


    Sources :

    Le site de Tiken Jah Fakoly 
    Un site sur l'histoire du rastafarisme
    Un site sur l'histoire du rastafarisme et du reggae

     


    10 commentaires



    Suivre le flux RSS des articles
    Suivre le flux RSS des commentaires